Ce soir-là, le crépuscule avait envahi l’horizon de ses bras ténébreux, et dans cette douce pénombre de la période de fin août, je me retrouvais à déambuler dans la rue. Une tendre brise d’air fraîche soufflait de façon délectable dans la région, offrant aux badauds et aux autres habitants du coin un moment paisible aux affres de la chaleur estivale. La nuit n’était pas si noire en définitive, les rayons de la lune offraient une atmosphère enivrante et envoûtante, avec assez de lumière pour voir clair, rendant les illuminations des réverbères à juste de vulgaires lueurs éclairant faiblement leurs alentours. Je pressais le pas dans le but de rentrer plus rapidement. Les rues étaient désertes dans ce coin ci, et à part les quelques animaux nocturnes qui s’affairaient à leurs petites besognes habituelles, rien ne dérangées la quiétude des lieux. Soudainement, la brise se fit ressentir plus intensément et dans un ardent coup de vent mon chapeau qui était pourtant bien fixé sur ma tête s’envola entraîné par cette force invisible d’un sylphe. Il tourbillonna quelque temps dans les airs, juste assez pour franchir une frêle palissade de bois qui délimitait les frontières d’un jardin. La palissade n’était pas très haute. Elle arrivait à peine jusqu’à la hauteur de ma poitrine. Mais elle était assez basse pour que mon chapeau arrive à la franchir. Pris au dépourvu, je n’avais pas eu le réflexe rapide de le rattraper au vol. Plus le choix, il ne me restait plus qu’à aller le chercher. Au début la tentation d’aller sonner se fit connaître mais en définitif vu l’heure tardive ma conscience me décida à arrêter mon geste et à la fin la décision fut prise que j’irais le récupérer par moi-même. Personne n’était dans les parages, personnes pour me voir, si j’étais rapide il n’y aurait aucuns problèmes, ni rien de mal. J’allais juste récupérer mon bien et rien de plus.
Passant ma tête au dessus de la clôture je pus enfin apercevoir mon chapeau, il n’était pas très loin. Une petite statue en pierre avait réussi à stopper sa course à quelques mètres de distance. Le jardin était bien éclairé par la lune et cette clarté me permettait d’entrevoir chaque aspect de ce jardin. En gros cela me facilitait la tache comme cela me la compliquait explicitement. A travers cette espace dégagé, j’étais complètement à découvert et donc entièrement repérable. Je préférais ne pas faire de scandale pour si peu. Et dans l’immédiat je comprenais bien dans un sens, le fait que personne, ni même moi, personnellement, n’apprécierait qu’on vient sans invitation violer notre espace privé. Prenant mon courage à deux mains je franchis le pas et sautais le pas en passant par-dessus la palissade. Si j’étais rapide je n’aurais qu’à passer juste une poignée de secondes dans l’enceinte de cette propriété. J’atterrissais pieds joints sur l’herbe qui poussait inégalement, dans un bruit étouffé par ces graminées touffues. La voilure du bas de mon fin imperméable ondulait encore dans le air quand j’eus atterrie et aussitôt sans entendre que cesse se mouvement je m’agenouillais pour me faire le plus discret possible. Le genou à terre je sentais l’humidité passer à travers les fibres de mon pantalon. J’observais quelques instants les lieux malgré le danger de me faire attraper. Cette décision inconsidérée rendait la chose encore plus excitante. Enfin cela sera le cas jusqu’à que je tombe sur un gros molosse qui monterait la garde. Cependant tels ne fut pas le cas. Pas de molosse, de lampe à détecteur de mouvements ou autres choses pour me faire remarquer et trahir ma présence. Tout était calme et seule le faible vent sifflotant troublait la quiétude et le silence de l’endroit.
Le jardin était fait dans un ton assez simpliste. De l’herbe un peu partout, quelques petits arbres par-ci par là, une allée faites de modeste dalles en pierre serpentait dans cette arrière court menant d’une façade d’une demeure jusqu’à un petit puits au milieu du terrain. Un puits classique sans trop de prétention, entouré d’une enceinte constitué de pierre blanche d’une soixantaine de centimètres, au dessus duquel s’étendait une fine plateforme métallique soutenant une pompe à aubes. Je me rappelais dans mon enfance en avoir actionné une, quasiment identique à celle-ci. On tournait la manivelle sur le côté, et la roue en son centre entraîner une chaîne sur laquelle des aubes étaient disposées. L’eau ainsi acheminée tombait par la suite dans un bac central qui la récupérait et acheminait le liquide par l’intermédiaire d’une ouverture vers une canalisation. Je ressentais dans mon esprit les mêmes sensations que dans la scène qui se répétait dans ma mémoire comme une réminiscence. Je me souvenais du soleil frappant mon visage, du doux parfum des fleurs qui envahissait l’air, de la voix de mon grand-père qui m’appelait en me faisant signe au fin fond du potager. Je l’aidais un petit peu avant de perdre mon peu d’attention enfantine et de partir en courant en coursant des insectes, observant le monde perdu du micro-cosmos environnant. À la fin, je me retrouvais étendu à l’ombre d’arbre, assommé par la chaleur de l’été et par mon activité de gamin, couché sur un banc précaire constitué de parpaings et d’une large poutre. Je me remettais au monde réel s’étendant devant moi quittant celui imaginaire reflétant mes souvenirs d’enfances. Il me fallut quelques secondes d’adaptation pour enfin réaliser mon retour. J’avançais avec prudence dans un pas lent, après mettre levé. J’avais eu la chance qu’une petite statue en pierre d’une quarantaine de centimètres eut la présence d’esprit d’arrêter le chapeau avant qu’il aille plus loin, dans ce sens j’avais eu de la chance. Je m’approchais, m’apprêtant à me baisser quand mes yeux se levèrent le long de la façade de la demeure qui s’étendait devant moi à moins de trente ou vingt mètres. Ce coup d’œil m’emmena à apercevoir un petit balcon menant à une fenêtre entrebâillée. Les volants transparents d’un rideau blanc voletaient au gré du courant d’air, laissant entrevoir une silhouette assise, dans un fauteuil certainement, en déduisais-je.
Attrapant précipitamment mon chapeau, je filais me cacher derrière une table en pierre non loin de là, enclavée de deux bancs circulaires immobiles fait en même matériaux. Je jetais un coup d’œil encore une fois. Une personne était là haut et regardait dans ma direction. Me sentant grillé une petite dose d’adrénaline m’envahit circulant à travers mon organisme par le flux sanguin accélérer par les battements de mon cœur. Mais malgré les secondes qui s’égrenaient, il ne se passa rien. Pas de cris, pas de rappels à l’autre, ni aucune autre forme de protestation d’aucune sorte. On ne m’avait pas vu ! Non pas possible, j’étais aussi visible qu’un lapin courant au milieu d’une pelouse d’un golf. Autant dire qu’on ne pouvait pas me manquer. Et là aucune manifestation d’aucune sorte. Sûrement qu’on avait remarqué le fait que j’étais juste venu prendre un objet m’appartenant, sans plus. Mais le mutisme de cette scène et de cette mystérieuse personne me gênait grandement. Le souffle du vent se fit plus ardent dévoilant enfin la mystérieuse silhouette qui m’épier maintenant depuis un certain temps. La stupeur grandissait en moi. La silhouette regardait bien dans ma direction. Elle se révéla être une jeune femme. Habillée d’une robe violine, le visage entouré d’une longue chevelure brune flottant au vent. Je remarquais sa peau laiteuse, d’un blanc fascinant comme un éclat de faïence. Je n’aperçus pas ces yeux à cette distance malgré le fait que je les sentais dirigés vers ma direction. Je fixais cette apparition. Cette vision avait un avant goût de féerique comme si elle provenait d’une scène onirique. Pendant un petit moment, mon regard ce perdu sur cette femme d’une inconditionnelle beauté comme si je fus envoûté. Ayant perdu assez de temps je me relevais tranquillement et doucement je retournais sur mes pas ressautant la palissade sans trop faire de bruit.
Voilà, ma petite excursion était finie. Aucun scandale n’avait éclaté malgré le fait qu’on m’avait bien aperçu, j’en étais sûr et certain. Je me retournais pour m’offrir un dernier regard sur le domaine. Auparavant je n’avais jamais remarqué cette maison, et pourtant je passais par ce chemin assez souvent. Faut dire que c’était peut être ça le problème. J’y passais si souvent que je ne prêtais plus attention aux détails des lieux. J’y passais juste rapidement sans plus. Et voilà qu’un moment donné me donne l’occasion de remarquer quelque chose de spécifique. Je rentrais par la suite chez moi. Cette nuit là mon sommeil fut troublé par cette vision entraperçue dans ce jardin. Je revoyais cette silhouette, ce visage de traits fins et féminins. J’en étais troublé. Je passais une grande partie de la nuit les yeux ouverts, me remémorant ce visage qui dès lors m’avait envoûté. J’avais l’envie de revoir cette personne, et celui de la connaître davantage. Ce n’était pas dans mes habitudes de me lancer sur un coup de tête dans de tels desseins, voir d’être obnubilé par quelques choses. Néanmoins, cette femme m’était apparue telle une vision onirique, dégageant une force féerique avec tellement de prestance qu’elle restait figée dans mon esprit. J’étais complètement marqué par ce que j’avais vu, sans toute fois pouvoir comprendre le pourquoi du comment. Qu’est ce qui faisait de cette situation certes peu cocasse mais tellement anodin me marquait autant ? Vraiment aucune raison d’avoir plus de considération pour cet événement qu’un autre fait bizarre qui aurait pu m’arriver ailleurs à un autre moment. Faiblissant petit à petit, je m’abandonnais progressivement dans un sommeil profond, et dans un court l’abs de temps je réussissais à m’endormir jusqu’au petit matin.
Au réveil, mon obsession ne m’avait toujours pas quitté. Elle restait tapie dans le recoin de mon cerveau, profitant de chaque instant de faiblesse dans lequel je laissais divaguer mes pensées, pour resurgir, tambouriner, se répandre dans un effet enivrant voir totalement envoûtant par une simple idée. Juste une petite idée qui semblait si ensorcelante. L’idée de revoir cette femme ce soir. Dès lors mon attention fut complètement absorbée par le roulement de l’aiguille sur l’horloge murale, jetant plusieurs coups d’œil au fur et à mesure que le temps passé. Les aiguilles donnaient l’impression de ne plus trotter aussi normalement que les fois précédentes. On aurait dit qu’elles marchaient aux ralentis. Le reste du temps de boulot s’écoula comme une torture, et mon anxiété grandissait encore et encore avec la durée. Finalement, le moment tant attendu arriver enfin et je pus partir. Je quittais le bureau avec un plaisir distinct, et comptais bien savourer ma satisfaction de mes envies comblées. Après un petit voyage en transport en commun sans problème je déambulais dans les rues du quartier comme un automate, suivant un chemin déjà bien connu, complètement envahi par un désir souverain. La nuit avait déjà recouverte de son manteau noir l’horizon, lorsque j’atteignis l’enceinte du jardin. En prenant la précaution de ne pas me faire surprendre par les voisins, j’observais les alentours. Il n’y avait rien d’existentiel, juste le silence et la nuit. En un bond je passais la clôture et allais me réfugier dans un recoin assez caché pour être à l’abri mais laissant toutefois un espace assez dégagé me permettant d’avoir un grand angle de vu sur la façade du bâtiment.
C’en était presque devenu un jeu. L’excitation de se sentir en danger où la moindre faute m’aurait conduit à ma perte, l’adrénaline coulant dans les veines, le cœur tambourinant dans la poitrine. Tout cela dégageait une certaine euphorie. Cependant l’euphorie s’atténua un peu pour ce changer en désir de perversion dans un simple acte de voyeurisme. La mystérieuse femme s’était à nouveau assise devant la fenêtre ce soir. Une certaine convoitise naissait en moi-même. Je désirais cette femme. Et cet ensemble d’interdits, de mystères, de cette beauté laiteuse, et de ce fugace malaise qui émergeait en moi en regardant cette femme, rendait très excitante la situation. Cela offrait davantage d’attraits qui nourrissaient ma concupiscence tel un caprice enfantin primaire. Oui, c’était peut être ça en définitif. Je me régalais de ce voyeurisme comme si c’était devenu vital. Au bout d’un certain temps, je décidais de m’en aller, abandonnant derrière moi la vision séraphique avec autant de difficulté qu’un goût amer resta dans ma bouche. Cette vision angélique était d’une telle magnificence qu’elle en devenait satanique. J’avais quand même pu pour un instant éphémère combler mes désirs. La nuit se passa comme la veille. J’eus mit un certain temps avant de m’endormir, me laissant bercer autant par les bras de Morphée que par le doux souvenir de cette soirée. A mon réveil, le temps n’était pas aussi joyeuse humeur que celle dégageait par mon cœur au levé. La vue de ce mauvais temps par la fenêtre me mina un peu le moral. Qui disait pluie signifiait tout simplement pas d’inconnue siégeant devant sa fenêtre, vitre ouverte. J’allais avoir droit à une soirée de perdue.
La journée s’était annoncée sans saveurs et elle finirait identiquement. Lors du moment de mon départ, je m’apprêtais à partir, quand je réalisais que la pluie tombait bien fort. La chaleur estivale des jours précédents avait du déclencher des perturbations atmosphériques et provoquer une faible tempête passagère qui avait déboulé sans prévenir en plein cœur de l’été. Cela ne m’arrangeait certainement pas. Sur le point de pousser la porte de la sortie, une main me toucha l’épaule pour m’arrêter dans mon élan. C’était Connie, une collègue de travail. Elle me proposa gentiment de me raccompagner chez moi vu le temps affreux qu’il faisait. Cette proposition était une décision bien réfléchit et non du au hasard. Le fait que j’utilisais les transports en communs pour me déplacer était bien connu de mes collègues. Finalement, j’acceptais la proposition. Je n’étais pas trop d’humeur dans l’instant pour accepter les désagréments d’un voyage dans des bus et tramways surchargés. Cela me retirait une épine du pied, je n’avais plus qu’à me laisser porter par les événements. La voiture où je me trouvais en qualité de passager, en compagnie de Connie, quitta le parking et s’engagea sur la route. Une demi-heure plus tard elle atteignit le portail de ma maison. Etant redevable, j’invitais Connie à dîner chez moi, en ma compagnie, la sentant seule, elle aussi, tout comme moi. Connie en fut ravie. Etant célibataire, elle n’avait pas d’obligation ou autre chose qui la demandais prestement. Elle en profita pour se laisser poser à son tour, et décida de profiter un peu de la soirée. Après tout un peu de changement lui ferait du bien, pensa t’elle. Je lui indiquais où était le salon dans le but de la laisser se poser quelques instants pendant que je m’occupais de la préparation du repas à venir. Elle s’essaya pendant un petit moment mais l’automatisme du célibataire revenait à la charge. Soudainement, elle se sentit gênée de se laisser servir ainsi et me rejoignit dans la cuisine où je m’affairais à couper des légumes. Je cédais et la laissait m’aider.
La soirée se passa agréablement bien. On mangea ensemble, discuta entre nous de pleins de choses, de tout et de rien. Je commençais à m’apaiser de mon insatisfaction de la journée. Connie était une femme assez mignonne, mais elle ne m’aidait pas à enlever l’image de cette inconnue qui se trouvait à quelques rues de là. Un verre de trop aidant, je me penchais sur Connie laquelle visiblement répondit à mon attente avec une sérénité qui me surprit pendant une seconde. Manifestement, elle attendait fortement que se produise une telle situation. Nos lèvres se collèrent et dans un fin mouvement rotatoire s’embrassèrent. Quelques caresses vinrent s’accoler à ce geste humain. La passion s’empara de nous deux et la soirée ne trouva de solution que de se finir au lit. Tout au long de nos caresses je pensais à cette femme, à sa peau d’un blanc laiteux qui m’excitait au plus haut point. Connie n’était en définitive qu’un exutoire à ma frustration. Une fois nos ébats terminés et l’excitation retombée, je commençais déjà à m’en vouloir. Mes désirs inassouvis dégageaient en mon être des pulsions animales. Et de ces mêmes désirs naissaient des sentiments de hontes et de culpabilités. Comment était-il possible de ressentir autant de béatitudes et de malaises en même temps ? Dans mon for intérieur je jubilais. Profitant de l’instant présent, j’avais pu profiter de cela pour assouvir mon fantasme en imaginant être avec ma mystérieuse inconnue. Chaque caresse que recevait Connie était à destination de mon incongrue amante. Chaque baiser passionné qui picorer son corps rosé, le long de son ventre jusqu’à sa poitrine, embrasait de plus en plus mon désir et dans mes veines je sentais ma bestialité se revigorer.
Une heure plus tard, j’avais toujours les yeux ouverts, ne trouvant pas le sommeil. J’observais Connie endormit, blottit contre moi, à la lueur des rayons de la lune qui pénétraient à travers la chambre par la fenêtre. Visiblement le ciel c’était dégagé, et l’astre lunaire déniait enfin se montrer. Sa tête posée sur ma poitrine laissait serpenter une chevelure incandescente légèrement ondulante le long de mon torse. Ses cheveux s’écartaient en liasse laissant entrevoir sa nuque claire où était disséminée des traces d’une éphélide. Je voyais ma collègue sous un jour nouveau. Dans sa léthargie, Connie me laissait contempler jusque dans sa profonde intimité. Me laissant percevoir chaque détail du grain de sa peau. Avec mon doigt, je m’amusais à faire des longueurs sur sa nuque découverte. Sous l’effleurement du bout de la phalange de nombreux petits poils s’hérissèrent et se dressèrent. Au bout d’un moment, Connie gémissait, et fit un fin mouvement corporel en frissonnant. Ce qui me stoppa net. C’était peut-être la stupeur nécessaire apportée par l’élément de surprise qu’il me fallait pour me décider à rester tranquille. Je demeurais donc sage pour le restant de la nuit.
Au réveil Connie décida de rentrer chez elle, question de se rafraîchir et de se changer. Décision précise moins par effets de coquetteries que pour éviter les ragots de ces collègues à la langue très pendue. Habillée deux jours de suite par les mêmes habits, c’est certain cela va faire jaser. On évitait ainsi les quolibets et les bruits de couloirs par le simple fait qu’on venait au boulot séparément. Connie avait repris sa voiture. La même avec laquelle elle nous avait amené jusqu’à chez moi. Le beau temps était revenu, et les stigmates de la pluie tombée commençaient à disparaître. Les flaques s’estompaient sous la chaleur matinale qui ne cesserait pas de monter jusqu’aux douze coups de midi. Mes automatismes et mes habitudes reprenaient de plus belles, comme si mon petit écart de conduite de la nuit dernière n’avait en rien affecté ma routine coutumière. C’est ainsi que je retournais au travail par mes propres moyens, en prenant les transports en commun comme avant. La journée se passait bien. Elle n’était pas exceptionnelle, mais elle avait au moins l’avantage de ne pas importer son lot de soucis. Pas de problèmes, aucunes contrariétés, loin d’être idéal je pouvais tout de même aborder une certaine quiétude. Même Connie n’avait pas pu trouver une occasion d’apparaître devant moi. Et pourtant, j’imaginais qu’après les évènements qui s’étaient déroulés pendant la nuit de la veille, Connie avait envie qu’on se retrouve pour en parler. C’était vrai qu’avec ce qui s’était passé, on pouvait affirmer que cela aurait sûrement quelques incidences sur nos rapports amicaux dans l’avenir. Mais de là à affirmer directement qu’il aurait une sacrée évolution entre nous deux dès maintenant c’était prêcher in convertie.
J’observais désormais la grande aiguille trotter sur le cadran de l’horloge murale, attendant l’heure du départ. Il ne restait plus qu’une poignée de minutes. Plus le moment du départ s’approchait et plus les minutes mettaient du temps à s’égrener. Les minutes étaient plus longues les unes après les autres. Du moins, c’était l’impression que cela me donnait. Une sensation que tout le monde devait percevoir dans une situation identique. L’heure de la libération sonna enfin, comme tout les jours de travail dans la semaine, et avec ça son lot de satisfaction de pouvoir échapper enfin à un dur labeur. Sans hésitation je sortis hors des murs des locaux de mon lieu de travail. Je devais avouer qu’en passant la porte d’entrée, je ressentis une petite pincée au cœur. Je lançais un dernier regard en arrière. J’espérais dans mon for intérieur apercevoir Connie, même juste un infime instant. J’imaginais que cela me reposerait l’âme de recevoir un petit sourire d’une personne qui m’appréciait plus que grandement. Cependant je n’eus pas droit à ce petit plaisir. Dommage, mais tant pis, c’était comme ça. Je me faisais une raison sans trop m’en plaindre. Dehors, le soleil rayonnait de toute sa lumière, baignant le monde dans une douce chaleur enrobante. L’interlude pluvieux du jour précédent n’était plus qu’un souvenir. Je foulais le pavé encore brûlant, marchant d’un pas tranquille jusqu’à l’arrêt de bus. Malgré la position du soleil de fin d’après-midi, la lueur lumineuse qui émanait restait encore éblouissante. Je réajustais mon chapeau afin de projeter mes yeux, le temps de me réhabituer à la lumière du jour trop longtemps délaissée pour la lumière tamisée du bureau. Le bus arriva, et une fois, après avoir validé mon titre de transport, j’allais m’asseoir à une place libre, profitant ainsi de ce moment de laissé allez pour me détendre.
La vibration du bus qui roulait me berçait à tel point que perdu dans mes pensées, je fus surpris au dernier moment, à quelques mètres de mon arrêt. J’eus à peine le temps de sauter sur la barre qui maintenait le bouton de demande d’arrêt, et d’appuyer dessus. Descendu, je repris la marche. Les talons de mes chaussures noires claquaient sur le bitume du trottoir. J’essayais de réfléchir à quelques choses, de trouver une solution. M’arrêtant soudainement je regardais le soleil, comme si les rayons pouvaient chasser les idées noires. Je plongeais rapidement mon regard ailleurs avant de perdre complètement la vue. Visiblement les réponses à mes questions ne viendraient pas comme ça. Je gambergeais au message que je devais envoyer à Connie. Comment le formuler ? Quoi dire ? Je ne voulais pas paraître pour le gars qui avait eu ce qu’il voulait et qui ne donnait pas de nouvelle ensuite. Mais dans le cas contraire je ne voulais pas donner l’impression d’être pressant. J’ignorais les réponses aux questions que je me posais dans ma tête alors comment les exprimer dans un message par des mots formulés qu’avec un assortiment de 26 lettres ?
Ne trouvant point, j’appuyais sur le bouton rouge, fermant de ce fait l’option messages. Je refermais mon téléphone. En levant la tête, je réalisais que mes pas m’avaient conduit jusqu’à la palissade. La même que j’avais franchit tant de fois dernièrement. Peut-être un signe du destin, cependant j’en étais content. Si ma relation avec Connie devait évoluer, je voulais au moins la voir une dernière fois. Voir mon inconnue. Une manière d’exorciser de vieux démons. Plein de détermination, je sautais la palissade, me promettant que cela serait la dernière fois que je bafouais la loi pour ce genre d’acte. Le ciel se tamisait en entrant en début de soirée et la nuit commençait à englober le tout. Mes présomptions furent justes. Mon inconnue aux claires de lune était présente à son poste comme à chaque fois que je l’avais aperçu. Rien n’avait vraiment changé dans cette scène, étrangement identique aux autres fois. Plus par inconscience que par témérité je me promenais au milieu du jardin sans trop me cacher. C’était probablement la dernière fois que je me décidais à venir l’observer en douce. Je voulais en profiter pleinement. Graver dans ma tête le visage de cette femme si envoûtante. Qu’il reste tel quel, juste un songe au milieu d’une nuit d’été.
Soudainement une bourrasque de vent balaya en longueur le jardin, emportant dans les airs le chapeau qui était posé sur ma tête. Même si sur le coup le vent m’avait surpris en jaillissant succinctement sans prévenir, je n’étais pas si étonné que ça. Cela avait un goût de déjà vu ! Je l’avais déjà vécu de manière si similaire. Après tout, n’était-ce pas comme ça que tout avait commencé ? Juste par un coup de vent. Par un chapeau qui s’envole. Le même que je portais ce soir et l’autre nuit. C’était logique en fin de compte. Tout avait commencé ainsi et tout finirait de même. Un début et une fin identique. Dans le fond quand on referme un livre après la dernière page, ne tournons nous pas la couverture, la même qui fait partie et relit la couverture du début. A la fois identiques et opposées, deux parties qui en forment qu’une, reliées par le destin, mais que le sort empêche de se rejoindre pour l’éternité. Deux couvertures, deux femmes que séparaient une tranche contenant les pages de ma vie. J’espérais pouvoir écrire notamment sur la dernière page, en bas de la feuille ces derniers mots « Aucuns regrets.». Comme si cette espèce d’épigraphe pourrait conjurer le sort et me préserver des mauvais choix.
Contre toute attente le chapeau ne retomba pas si vite que ça. Pire encore, la bourrasque de vent perdura et entraîna le frêle couvre-chef plus haut dans les airs, bien trop haut. Il flotta à travers le jardin et atteignit la hauteur de la fenêtre, qu’il franchit sans peine. A ce moment là j’étais un peu mal. Comment aller le récupérer et justifier ma présence ? Mais poussé par l’entrain, avec autant de force que le vent qui avait déclenché ce coup du destin, j’avançais en direction de la porte se trouvant sur la façade arrière de la maison qui s’étendait devant moi. Je toquais fort sur la porte en bois, certain qu’on m’entendrait. La porte était en contrebas des fenêtres des chambres du premier, à proximité du balcon de celle qu’occupait ma mystérieuse inconnue. Désormais je ne pouvais plus faire marche arrière, j’avais atteint le point de non retour. Je m’étais laissé transporter, emporté par les évènements telle une pétale de fleur au gré du vent, et cela jusqu’à atteindre ce moment.
Je toquais à la porte. Après avoir attendu deux ou trois minutes le temps que quelqu’un est l’opportunité de venir m’ouvrir, je retoquais. Mais personne ne venait m’ouvrir. J’appelais par la fenêtre essayant d’interpeller la présence qui siégeait dans la pièce du haut. J’eus en réponse que le silence. Personne ne répondait à mes appels. Ce n’est pas possible. Que faire ? Je retoquais une dernière fois sur la porte. Ce qui ne changeait pas grand-chose. Sur un coup de dé, je tournais la poignée de la porte qui me déconcertant s’ouvrit en grand. Elle n’était pas fermée. Contre toutes bienséances, je pénétrais dans la demeure plongée dans le noir. J’avais atterri dans la buanderie. La pièce était vide. C’était bien l’entrée secondaire que j’avais empruntée. Normal donc de tomber sur des pièces qui ne servaient pas à vivre tels que salons, salle à manger ou encore chambres. J’ouvrais une seconde porte afin de pénétrer plus profondément dans les entrailles de la maison. Je longeais le petit corridor jusqu’à tomber sur le couloir central. Je devrais même dire le couloir principal. A gauche le couloir continuait jusqu’au hall d‘entrée, celle de devant, desservant des portes par-ci par-là par endroit. A droite le couloir continuait après un angle droit, il menait à un cul de sac qui se terminait par un débarras. Cependant, il avait avant un escalier sur un des côtés qui menait au deuxième étage.
Je repoussais un appel, question d’avertir de ma présence. Au sein des murs je pensais avoir plus de succès de me faire entendre. Finalement sans plus de succès, il y avait toujours le silence. Je me disais que ce n’était pas possible. J’empruntais l’escalier, montant pas à pas, marche après marche. Les lattes de bois qui composaient les marches de l’escalier grincèrent à chaque foulée. J’étais enfin au deuxième étage. Il me restait plus que quelques mètres qui me séparaient de ma mystérieuse inconnue. Elle était derrière une des cloisons. Après quelques pas il ne subsistait plus qu’une porte qui persistait encore à vouloir nous séparer. Je toquais à la porte. Cette fois ci impossible de ne pas se faire entendre vu la proximité de la personne. Je trouvais étrange qu’une femme seule garde les portes de sa demeure non verrouillées. Ce n’était pas prudent du tout. Je n’eus pas plus le loisir de m’étendre sur la question, ma concentration étant perturbée par les battements de mon cœur qui montaient en crescendo. Rassemblant mon courage, je poussais la porte de la chambre et j’y pénétrais.
– Excusez mon intrusion, mon chapeau s’étant envolé pour atterrir par votre fenêtre, et devant l’absence de réponse, je me suis permis de rentrer.
Je continuais à avancer prudemment, tout en poursuivant mon monologue. L’inconnue resta imperturbable, toujours assise dans son fauteuil, regardant fixement l’extérieur. Elle ne disait rien. Observant le chapeau coincé sous le pied arrière du fauteuil, je naviguais dans sa direction.
– Ah ! Le voilà, repris-je. Il est là. Je vais le récupérer et ensuite je vous laisserais tranquille. Je vous prie de me pardonner encore de vous avoir dérangée.
L’absence de réponses me perturba. Le trouble qui me tourmentait depuis mon entrée grandissait. Le silence pesait lourd. J’aurais voulu même recevoir quelques remontrances, cela aurait au moins eu la décence de briser cette atmosphère oppressante. La scène paraissait bizarre. Elle dégorgeait de certains illogismes, semblable à une pièce de théâtre vieillotte plutôt qu’une péripétie du quotidien. Je m’approchais du fauteuil, mes pas résonnants sur le plancher. J’escomptais sur ces bruyants échos de mes foulées pour lui décocher une réaction, juste la voir sursauter ou du moins esquisser quelques sursauts ou frissons. Malgré cela, je n’obtenais aucune réaction de sa part, elle resta aussi stoïque qu’une bourgeoise anglaise. Cette fois-ci j’étais dans son dos. Me baissant, je ramassais mon chapeau, récupérant ainsi mon bien. Agenouillé en contre bas, je percevais une effluve. Elle provenait d’un parfum. Le parfum qu’elle portait. C’était une flagrance légère que j’arrivais à percevoir. Une flagrance de fleur d’orangée.
La proximité me permettait d’apprécier chaque nuance de l’essence qui était répandu sur sa peau. Mais ce n’était pas tout, je percevais une odeur pratiquement indétectable qui me faisait frissonner. Elle était presque imperceptible, pourtant elle existait bien. Je n’arrivais pas à la caractériser. Elle me troublait juste. C’était une senteur éphémère, presque fantomatique, qui avait pu percer le relent de fleur d’orangée. En fait, cela devait être sûrement ça. Le parfum, à l’air libre, commençait à s’éventer, délivrant en conséquence ce qui était caché dessous. Sciemment, j’étais un peu troublé. Ce que je pouvais mettre sur la faute de la situation cocasse dans laquelle je me trouvais. Néanmoins, inconsciemment cela était autre chose, tout mon corps frissonnait, telle une réaction primitive, je ressentais une sensation viscérale qui m’étreignais les tripes comme dans un étau. Dans mon thorax, mon cœur tambourinait de plus belle.
Essayant de me calmer, je m’efforçais à réfléchir afin de retrouver un brin de logique. Je devais examiner la situation et entrevoir chaque hypothèse possible qui y viendrait. Je rigolais intérieurement en me frappant le front. Qu’est-ce que j’étais sot de me faire une peur pareille. C’était assurément tout bête. Sous le coup de l’émotion, mon psychisme me jouait simplement des tours. L’explication de son manque de réaction face à ma présence était toute trouvée. Elle devait dormir, et n’avait pas pris conscience du fait que je me trouvais dans la même pièce qu’elle. Ou peut être était-elle sourde ce qui expliquait bien des choses comme le fait qu’elle n’avait rien entendu. Voir même les deux en même temps, dans l’inconnue tout reste possible. J’imaginais le choc qu’elle recevrait, si sur le coup d’un réflexe, elle se retournait et surprendrait quelqu’un dans sa chambre entrain de l’observer dans le noir à quelques centimètres seulement de son dossier. Je devais en finir avec l’absurdité de mon imagination et je m’apprêtais à faire l’impensable. Maintenant que j’étais debout, derrière son dos, il était temps d’agir. Je tendais le bras prêt à l’interpeller. Faisant en un pas chasser, un bon sur le côté, me rendant plus visible. Ma main s’abattit sur son épaule. Enfin, je l’avais fait, j’avais réussit. Contre toutes attentes d’un effleurement chaud j’eus eu droit qu’à une étreinte glaciale. Un souffle frais s’engouffrât à travers la pièce par la fenêtre, balayant la chambre de part en part. Sa longue chevelure brune me caressa l’avant bras en me chatouillant au passage.
A travers ce filet de brins capillaire, le temps se figea un bref instant qui parut une éternité. Puis en un battement de paupière, il se remit à s’accélérer. Le corps de la jeune femme assise jusqu’à présent tranquillement dans son fauteuil se désaxa, vacilla légèrement d’un coté, avant de carrément sombrer sous mes yeux. Elle tomba entraînée par la gravité, s’écrasant sur le sol dans un paf étouffé. Pourtant, ce bruit me sembla tellement assourdissant, tellement écrasant, qu’il en était étourdissant. Sous l’effet du heurt au sol, le corps, qui était depuis le début sur le fauteuil dans une position digne tressauta comme un pantin désarticulé avant de s’atténuer complètement inerte. Devant la vision de cette scène, je reçus comme un coup dans l’estomac, qui eut pour but de me faire plier l’échine. Agenouillé sur trois pattes au sol, la quatrième positionnée sur la bouche, sentant le haut de cœur venir. Je réussis à ne pas déglutir malgré tout. J’observais le corps qui s’étendait devant moi. Elle ressemblait à une poupée de porcelaine dans sa robe violine, avec sa peau blanchâtre, sa chevelure serpentante sur le sol, restante raide, immobile, inerte. J’étais en présence d’un cadavre ! Comme pour vérifier la véracité de ce que je voyais, je m’approchais à quatre pattes, allant jusqu’à la toucher de ma paume. Le corps était froid mais il n’était pas rigide. Toute trace de la rigor mortis avait disparu, cela faisait donc un certain nombre de temps que la pauvre enfant avait poussé sont dernier soupir. Les synapses du cerveau commencèrent à s’envoyer des signaux électriques, et je discernais enfin les détails qui m’avaient échappé jusqu’à lors. De petits détails qui m’avaient semblé étranges certes mais qui ne m’avait pas plus que cela interpellé. Je revoyais le fait que sa position assise n’avait pas trop changé depuis le début, la robe violine toujours identique malgré le rideau qui se balancer devant la fenêtre. Comment cela avait pu m’échapper. J’étais en face d’une morte. L’air de la pièce me parut suffocant, l’atmosphère pesante. J’avais du mal à respirer, j’étouffais. J’ouvrais mon col plus grand, déboutonnant à la hâte, espérant ainsi être moins opprimé et pouvoir inspirer plus d’oxygène. Les murs de la pièce commencèrent à tourner autour de moi. La panique me gagnait en même temps que naissait une petite claustrophobie. Je devais sortir de la chambre. J’avais l’envie d’y sortir. Me traînant sur le sol jusqu’à l’orée de la porte, puis en m’aidant du cadre de celle si je me relevais m’extirpant de la pièce. Je déboulais l’escalier, pouffant à perdre haleine, les poumons en feux. J’avais qu’une obsession. C’était de sortir dehors, d’atteindre l’extérieur. Et, j’y parvenais.
J’ôtais mon portable de ma poche et appelais la police, pour leur tenir compte de ce que j’avais trouvé. J’avais ainsi avertit les services compétents, ne pouvant rien faire de plus par moi-même. Il ne me restait plus qu’à attendre leur venu. Le vent humidifié par l’humidité de la nuit me frappait le visage par intermittence. Je contemplais le ciel étoilé, qui brillait de mille éclats. Seul aspect rationnel de cette nuit surnaturelle qui me maintenait dans la réalité comme un lien perpétuel de mon existence. Les agents de police débarquèrent une quinzaine de minutes après que j’eus raccroché, à la fin de la communication, mon téléphone. Ils me retrouvèrent prostré, assis sur une énorme pierre qui ornait le côté de l’allée pavée menant du portail à la porte d’entrée principale. Après quelques menues explications, deux agents montèrent vérifier mes dires au deuxième étage. Ils tombèrent effectivement sur la scène macabre. Le troisième était resté à mes côtés, griffonnant un complément d’information sur une page d’un carnet. Au bout d’un certain temps, une deuxième voiture de police arriva sur les lieux. Toutes sirènes hurlantes et gyrophares clignotants, l’ensemble déchirèrent les ténèbres et le silence du petit quartier résidentiel d’habitude si tranquille. J’apercevais même la camionnette frigorifique de transport de corps de l’institut médico-légal se garer sur le trottoir d’en face.
Me percevant complètement bouleversé et ne me voyant plus d’aucunes utilités, l’officier, resté à mes côtés, concéda à m’accorder le privilège de foutre le camp dans un langage plus que gentillet. Mais le ton était donné, je devais déguerpir au plus vite pour qu’on ne m’ait plus dans les pattes. Normalement, dans des cas comme ça, quand on fait ce genre de découverte macabre, on n’a pas l’apport d‘une aide psychologique ? Apparemment, pas pour moi. Pour ce cas ci, en tout cas. Au vu de la constatation de la mort avancée de la défunte depuis plusieurs jours, j’avais pu partir sans être retenu en garde à vue, au soir même. Cependant, dans une conscience professionnelle, le fonctionnaire prit la peine de prendre mon identité et mes coordonnées. On me pria également de venir faire ma déposition sur les événements de la soirée dans les jours qui arriveraient, pour ne pas dire demain à la première heure. Je passais le portail, quittant le jardin, laissant derrière moi les équipes qui s’affairaient à leurs tâches. Un agent balisait la zone avec un ruban pour établir un périmètre protégé de toutes altérations provenant du voisinage. Deux autres maintenaient les quelques curieux qui s’étaient rassemblés pour glaner maintes informations afin de combler leurs curiosités malsaines. Les policiers profitèrent également de cet attroupement de voisins pour relever quelques témoignages. Toutefois, on pouvait deviner qu’il n’en ressortirait rien. Après tout, personne n’avait relevé sa disparition.
Je me retournais une dernière fois, levant les yeux sur cette demeure. La façade, sous cet angle de vue, me paressait soudainement devenu austère. Au sein de ses murs il s’était passé bien des choses. Bien plus tard, dans les jours qui suivaient, j’avais appris la vérité. Ma mystérieuse inconnue était en réalité morte depuis bien avant, entre guillemet, notre rencontre. Et cela, depuis plusieurs jours, elle avait attendu ainsi, sans un souffle, assise dans la même position ma venue, comme si la fatalité avait prédestiné notre interaction. C’était à la fois une histoire teintée de tristesse et d’un romantisme dramaturgique. Dans le fond cette pauvre âme n’avait pas eu de chance. Atteinte à son jeune âge d’une maladie cardiaque qui lui offrait les affres d’une santé fragile, elle voyait en cela avec son fiancé juste un obstacle de la vie. Un obstacle qui était possible de franchir à deux. Cependant, devant la responsabilité que cela engendrait, le tourtereau se brisa les ailes. Et ressentant une trop forte pression, le fiancé décida de mettre fin à la relation. La rupture était consommée. Et c’est comme ça qu’il mit les voiles, laissant la malheureuse à son triste sort. Prise par le chagrin, la maladie gagna du chemin. Affaiblie et au trois quarts du temps alitée, elle errait dans sa chambre comme une âme en peine. Dans le plus grand espoir des bons jours, elle se traînait, quand les forces le lui permettaient, jusqu’à son fauteuil positionné devant le cadre de sa fenêtre. Observant passivement le retour possible de son amant. Et cela jusqu’à la toute fin. Son cœur déjà brisé une fois, par sa rupture se brisa encore une fois, s’arrêtant net cette fois-ci. C’était la fin.
C’était une histoire que je voulais croire. Un genre de contes de fées tristes. Celui d’une princesse touchée par une malédiction qui attendait assise chaque jour devant le cadre de la fenêtre de son donjon, que son prince revient la chercher. Mais cette fois là, il n’avait pas eu d’happy end. Le glorieux chevalier ne s’était pas pointé et c’était qu’un simple roturier qui l’avait retrouvé bien trop tard. Dans ma niaiserie enfantine, je tenais acquis cette version féerique. Je me souvenais avoir vue cette nuit là un morceau de papier cartonné plier au creux de sa main. J’imaginais qu’elle tenait dans sa paume une photographie de son bien-aimé. Ou, à la fin m’étais-je poussé à le croire, modifiant ainsi mes souvenirs.
Vous vous demandez sûrement comment j’ai fait pour ne pas m’apercevoir en fin de compte que je me trouvais avec un cadavre dans la même pièce et cela malgré le fait que la défunte avait passé l’arme à gauche depuis plusieurs jours, voir une ou deux semaines ? Serais-je idiot ? Aurais-je l’odorat plus que sous développé ? Un cadavre en décomposition cela doit se sentir fortement, et d’assez loin ! En définitif, pour le premier peut-être un peu, pour l’idiot, pour le second par contre cela en était autrement. Je n’avais peut-être pas le talent de grand nez des grands parfumeurs, mais néanmoins je n’étais pas sans odorat non plus. Cela venait juste d’une résultante naturelle que l’on pourrait trouver surprenante. Le fait est que de nos jours, les dépouilles ne pourrissent plus. S’il est vrai, qu’il n’y a pas si longtemps on avait encore du mal à garder les corps en état ne serait ce que jusqu’aux fins de veillés funèbres, cela n’est plus pareil désormais. On trouve dans notre alimentation moderne des tas de colorants, d’acides, de conservateurs, que l’on absorbe à longueur de temps chaque jour. À la fin notre organisme stocke en partie ses substances qui restent dans notre corps. Cela crée un effet antiputride. Il parait que cela pose de gros problème dans les cimetières allemands où les corps des défunts mettent deux à trois fois plus de temps à se dégrader causant une saturation de place. Du moins c’est ce que j’ai entendu parler. Il a un autre phénomène qui pourrait entrer en considération. Le fait est que la grande ventilation de la chambre associer avec l’air sec du temps estival avait permis une entrée au processus d’auto-momification. Le procédé naturel était assez rare mais pas impossible. Il suffisait que l’air chaud et sec circulant en flux laminaires empêchent l’installation d’une certaine hydrométrie dans l’environnement, et les antiputrides faisant leurs offices de leurs côtés laissèrent le temps au processus de s’installer. C’était aussi simple que ça ! J’étais bien forcé d’y croire, puisque j‘avais attesté de l‘authenticité de ce phénomène.
Cette aventure m’avait ébranlé en tout cas. De vivre cela m’avait changé. Ce n’était pas tant le fait d’être tombé sur un cadavre qui m’avait choqué, après tout j’étais assez adulte pour convenir à quoi ressemblait la mort, et prendre conscience de ses conséquences. On naissait, on vivait, on mourrait. Non ce n’était pas ça. Cela allait bien plus loin que ça. J’acceptais sa mort. Au fond, je ne la connaissais pas, il n’était donc pas nécessaire d’effectuer un travail de deuil. C’était juste, de voir ce corps comme ça, de constater qu’on pouvait mourir et disparaître dans la plus grande indifférence. Derrière l’insouciance collective se cachait en secret des drames, c’était l’innombrable vérité. Mourir seul, c’était peut être là une des seules peurs que tout le monde pouvait avoir. De voir, ce corps étendu là, devant mes yeux, d’être témoin de cette mort solitaire, c’était pire que tout. La cohue et le mouvement ambiant me ramenèrent à la réalité, me sortant hors de mon état pensif. Je me retrouvais à nouveau sur le trottoir, au niveau de la boite aux lettres. Le doigt posé sur un des coins de l’étiquette, je la regardais. L’humidité de l’air avait déposé de fine gouttelette, cachant ainsi le nom, déformant le contour des lettres. Il me suffisait d’un coup de doigt pour connaître son identité. Mais je n’en fis rien. Cela n’avait pas d’importance. Je laissais le mystère tel quel. Et c’était mieux ainsi. Je préférais garder en mémoire la première impression que j’avais ressentis en la voyant la première fois. Je voulais conserver à l’esprit l’image de cette femme, de son apparition, sortant comme dans un songe. Le songe d’une nuit d’été de la fille au clair de lune. Voilà, cette histoire se termine là. Vous vouliez l’entendre, c’est chose faite. A présent, laissez moi tranquille. Et adieu.
C’est sur ces dernières paroles du narrateur, l’héros de cette histoire, que s’achève ce récit, offrant à nous autres le mot de la fin. Comme on a pu le voir, il s’en sort à la fin avec un sérieux traumatisme. Une conséquence dont il fait les frais pour avoir succombé à l’obsession qui le tiraillait. Pourtant, il le savait. La curiosité était un vilain défaut. Même s’il a été la victime de la fatalité, il a été puni par là où il a péché. Curiosité, Obsession, voyeurisme, tant de viles manifestations qui font flancher la volonté de la noblesse du genre humain. La fragilisation de sa santé mentale ne sera, dans le fond, juste que la douce pénitence de notre héros pour avoir stipendié sa vertu en perpétrant des actes immoraux. Nous abandonnons, dès lors, les personnages de cette histoire à leurs propres désespoirs, tristesses, et névroses naissantes.